Le conflit armé qui a démarré en Ukraine au printemps 2014 dans la région du Donbass (oblasts de Donetsk et de Lougansk) et qui s’est étendu au reste du pays suite à l’invasion des forces russes le 24 février 2022 pourrait également affecter la République de Moldavie.
De par son histoire et sa composition ethnolinguistique ainsi que territoriale, la République de Moldavie est tributaire des équilibres géopolitiques régionaux et jouit d’une stabilité fragile. En 1991- 1992, au moment de son indépendance, le pays a connu un conflit armé interne opposant les nouvelles autorités moldaves aux régions de Gagaouzie et de Transnistrie.1 Alors que le conflit opposant Chișinău aux Gagaouzes a été résolu en 1994 par l’octroi d’une autonomie, le conflit avec la république autoproclamée de la rive orientale du Nistru n’a fait l’objet d’aucun règlement final en dépit de plusieurs négociations2 et reste « gelé ». Ce statu quo n’a pas empêché la Commission de Contrôle Conjoint et des experts de rétablir des liens entre les deux rives du Nistru et d’avancer sur des questions bilatérales techniques et non politiques.
Suite à un référendum non-reconnu par la communauté internationale et les autorités moldaves, la majorité des habitants de Transnistrie a exprimé en 2006 le souhait d’obtenir l’indépendance et de se rattacher à la Fédération de Russie. Bien que la Transnistrie jouisse d’une indépendance de facto garantie par la présence de troupes russes et soit intégrée dans de nombreux domaines au système politique russe, la Russie ne l’a pas officiellement reconnue et continue de la considérer comme faisant partie de la République de Moldavie. Malgré son orientation pro-russe la Transnistrie n’a pas rejoint l’Union Économique Eurasiatique et fait partie du marché étendu de l’Union Européenne.
Du 25 avril au 5 juin 2022 une série d’attentats dont la responsabilité est controversée a touché la Transnistrie. Le 21 juillet 2022 les autorités russes ont accusé le gouvernement moldave d’empêcher la rotation du contingent russe de maintien de la paix en Transnistrie. Le 22 juillet 2022 les autorités moldaves ont répondu qu’elles ne s’opposaient pas à la relève de ce contingent mais à celle du groupe opérationnel des forces armées russes déployé en Transnistrie et ont appelé à leur retrait. Le 29 juillet 2022 le dirigeant transnistrien Vadim Krasnoselski a réitéré son souhait d’obtenir l’indépendance.
L’absence de pourparlers quant au conflit russo-ukrainien et l’élargissement des buts de guerre russes suite au refus des autorités ukrainiennes de négocier, augmente le risque de conflit armé en Moldavie, en particulier en Transnistrie mais aussi en Gagaouzie où existe un fort sentiment russophile. Ce risque est d’autant plus réel que les forces armées russes pourraient pousser leur offensive jusqu’à Odessa puis tenter de rattacher la Transnistrie à la Fédération de Russie. Dans une telle perspective les forces armées ukrainiennes pourraient aussi être tentées d’attaquer la Transnistrie où est stationné un contingent russe numériquement faible (environ 1500 soldats russes et de 5000 à 7000 soldats transnistriens).
Alekseï Arestovich, conseiller du président ukrainien, avait invité à la fin du mois d’avril 2022 les autorités moldaves à reprendre le contrôle de la Transnistrie par la force, avec l’aide de l’Ukraine, ce qui fut rejeté par Chișinău. 3 Si les forces armées russes annexent la Transnistrie, le gouvernement moldave pourrait réagir face à ce qu’il verrait comme une violation de son intégrité territoriale. Bien que l’armée moldave soit numériquement inférieure aux forces russes, il n’est pas à exclure que le gouvernement moldave pourrait répondre par la force, notamment une assistance militaire lui est fournie par les pays membres de l’OTAN.
Toute extension du conflit en République de Moldavie amènerait également à une réaction de la Roumanie, qui est membre de l’OTAN et qui entretient des liens étroits avec ce qui fut son ancienne province de Bessarabie. Une telle escalade serait désastreuse pour la région mais aussi pour la paix en Europe dans la mesure où elle mènerait à une expansion du conflit et à une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie. Face à ce scénario catastrophe il est nécessaire de relancer les négociations. Seule la diplomatie peut arrêter le conflit en Ukraine et son expansion potentielle à la République de Moldavie.
Geneva International Peace Research Institute (GIPRI) / Photo Hanming Huang
Références
- Gilles-Emmanuel Jacquet, Histoire du conflit moldo-transnistrien, Éditions Connaissances et Savoirs, 2017
- Mémorandum Primakov de 1997, Accord d’Odessa en 1998, Déclarations de Kiev et d’Istanbul en 1999, Mémorandum Kozak de 2003 et Plan Youchtchenko de 2005.
- Tudor Ioniță, « Arestovici: Ucraina poate rezolva problema transnistreană ”cât ai pocni din degete”, dar trebuie ca R. Moldova să-i ceară ajutorul », Deschide.MD, 27/04/2022 : https://deschide.md/ro/stiri/23/105562/VIDEO- -Arestovici-Ucraina-poate-rezolva-problema-transnistrean%C4%83-%E2%80%9Dc%C3%A2t-ai-pocni-dindegete%E2%80%9D-dar-trebuie-ca-R-Moldova-s%C4%83-i-cear%C4%83-ajutorul.htm et Iulian Ernst, « Moldova rejects Ukraine’s offer to seize Transnistria », BNE Intellinews, 28/04/2022 : https://www.intellinews.com/moldova-rejects-ukraine-s-offer-to-seize-transnistria-242742/