Déo Namujimbo : Informer sur ce qui se passe vraiment au Congo

Déo NAMUJIMBO est un journaliste et écrivain franco-congolais, lauréat de différents prix internationaux récompensant la maîtrise de la langue française et le combat pour la liberté de presse. Il a été correspondant de RSF (Reporters sans frontières) et de plusieurs agences de presse en RDC. Après avoir échappé à plusieurs tentatives d’assassinats, il est accueilli pendant huit mois à  la « Maison des journalistes » dans le 15ème arrondissement de Paris. Depuis 2009, Déo vit en exil en France avec sa famille et il a animé en 10 ans plus de 120 conférences dans les lycées, collèges, universités et associations sur le thème de la situation globale au Congo ‘démocratique’ et dans les pays du voisinage. Déo Namujimbo a publié chez l’Harmattan « Je reviens de l’enfer, reportage de guerre à l’est de la RDC » (2014) et « Les sylvestres aventures de l’enfant soldat » (2021) et, en mai 2023, avec Françoise Germain-Robin, journaliste et Grand reporter à l’Humanité, « La grande manipulation de Paul Kagamé » aux Editions Arcane 17. Il relate dans ces ouvrages son expérience et ses témoignages de journaliste en zone de guerre. Formateur en journalisme, il collabore régulièrement avec des producteurs et réalisateurs de reportages en Afrique et, en particulier, au Congo, pays dont il parle trois des quatre langues nationales et qu’il met au service de la France en sa qualité d’Auxiliaire de justice assermenté, traducteur et interprète de lingala, du kikongo et du mashi ainsi que du swahili qui est la principale langue de tout l’est du Congo.

Propos recueillis par Pierrick Hamon – I-Dialogos

I-Dialogos : Déo Namujimbo, comme journaliste africain, connaissant désormais bien la France où vous avez trouvé refuge et que vous avez sillonné en long et en large, quel regard portez-vous sur la manière dont les médias européens et occidentaux rendent compte de l’actualité africaine, et même plus largement des enjeux internationaux ou géopolitiques ? Et en particulier de la situation au Congo ? 

Déo Namujimbo : Je n’appuie pas la thèse selon laquelle la presse française serait entièrement libre, indépendante et impartiale.

La première chose qui m’a étonné en atterrissant en France, en mars 2009,  a été de constater qu’on ne parlait quasiment jamais t de mon pays, la République pseudo démocratique du Congo, qui est pourtant le plus grand pays francophone du monde, avec une superficie (2 345 000 km carrés) équivalant à près de 5 fois la France et exactement celle des 28 pays de l’Union européenne mis ensemble.

Il ne se passe pas un jour sans qu’y adviennent des tremblements de terre, des inondations, des attaques meurtrières de bandes armées, des naufrages sur les lacs ou dans le fleuve Congo : jamais une ligne, ou presque, dans les journaux ou les télévisions françaises. A part de temps en temps un bandeau de quelques mots sur TV5 Monde ou France 24. Ce que je prenais à l’époque pour un oubli ou un surplus de travail de la part des médias français est devenu une certitude avec la sortie il y a quelques mois de mon livre « La Grande manipulation de PK ».

Ma co-autrice Françoise Germain Robin et moi-même en avons parlé à quasiment tous les journaux, radios et télévisions de France : pas un mot n’a été publié sur ce livre. Même pas dans l’Humanité, plateforme communiste s’il en est, et pour laquelle Françoise a été correspondante pendant plus de trente ans dans toutes les guerres du Moyen-Orient, au point qu’elle en a quasiment perdu l’usage d’une oreille des suites d’éclats d’obus. Seul l’Iris dirigé par Pascal Boniface, en a parlé dans ses différentes publications.

En essayant de comprendre les raisons d’une telle omerta au « pays des droits de l’homme » et de l’expression, je me suis rendu compte que Françoise et moi avions commis l’erreur impardonnable de parler de celui qui règne sur le Rwanda au prétexte qu’il «aurait mis fin au génocide de 1994 »(sic). De fil en aiguille, il a poursuivi et exterminé ses ennemis jurés de l’ethnie Hutu dans leurs camps de réfugiés au Zaïre de l’époque puis à travers les inextricables forêts de l’Afrique centrale. Comment pouvez-vous comprendre qu’en France on voue aux gémonies quiconque ose évoquer plusieurs millions de morts dans le plus grand pays francophone ?  Comment le Rwanda est-il devenu le dirigeant de l’Organisation internationale de la Francophonie alors que c’est l’un des pays les moins respectueux des valeurs de base de la Francophonie que sont la liberté d’expression, le respect de la vie humaine ou encore la démocratie ? Bien plus, ce pays qui chapeaute notre Francophonie est depuis un quart de siècle anglophone et membre permanent du Commonwealth…

I-Dialogos : le plus grand pays de la Francophonie n’est plus la France et depuis quelques temps déjà.  C’est votre pays d’origine, le Congo RDC. Certains observateurs, journalistes, ONGs et diplomates, surtout en France, estiment que la Francophonie fait partie du passé colonial alors même que ses fondateurs furent principalement africains. Qu’en pensez-vous ? 

Déo Namujimbo : Je ne sais pas si je dois vraiment répondre à cette question ni comment l’aborder, n’étant pas un spécialiste en la matière. Pour moi, ce ne sont là que des termes auxquels chacun peut donner le sens qu’il veut. Je veux dire que la Francophonie est un espace, pas nécessairement géographique, qui réunit tous les locuteurs de cette merveilleuse langue qu’est celle dite de Molière, et autour d’elle la culture française et tout ce qui a trait à l’Hexagone et à tous les territoires et peuplades qui virevoltent autour de cet idiome. Francophonie ou FrançAfrique ?

I-Dialogos : Vous venez de publier un ouvrage très sévère sur le président du Rwanda, Paul Kagamé, alors qu’il vient à nouveau d’obtenir un soutien financier de la Commission européenne, et qu’il bénéficie en France d’une bonne image, notamment dans les médias. Et pourtant les journalistes anglo-saxons comme Michela Wrong, Judi Rever ou Stephen Smith, entre autres, racontent une toute autre version de ce qui se passe dans ce pays. Il profite de la solidarité de certaines ONGS françaises alors que, par exemple, Human Rights Watch, dénonce une implacable dictature. 

Déo Namujimbo : Je pense avoir répondu à une partie de vos questions. L’omerta est là, bien vivante, il n’y a aucun doute là-dessus. Vous parlez de Judi Rever et de Michela Wrong. Ces deux dames ont eu le courage de dire ce qui leur semble être la vérité. Michela Wrong par exemple ne cache pas qu’elle était une fervente admiratrice de Paul Kagame avant de découvrir une réalité bien différente. Pareil pour Judi Rever. Et elles ne sont pas les seules. Pour les besoins de mon prochain livre, « RDCongo – Rwanda, l’Eglise assassinée » qui paraitra dans quelques mois en italien aux éditions Il Portico de Rome avec la préface du cardinal Matteo Zuppi, le président de la Conférence épiscopale italienne, j’ai rencontré en Belgique le père Missionnaire d’Afrique Serge Desouter qui a écrit plusieurs livres sur le Rwanda où il a vécu et travaillé pendant plus de vingt ans. Eh bien, il vit dans la terreur d’être assassiné d’un instant à l’autre et ses livres ne font pas non plus la ‘une’ de la presse belge. Pareil pour le père Guy Theunis qui a également dénoncé les dérives criminelles et disons le mot, génocidaires, du maître de Kigali. La liste est longue de ceux qui essaient d’ouvrir les yeux du monde. L’Ong Survie, pour laquelle le génocide des Tutsi est similaire à celui des Juifs en 40 – 45, reste étonnement silencieuse en ne prenant pas en compte les réalités de chacune de ces tragédies. Ce que je n’ai jamais compris par contre c’est le rôle exact de la section française de la Ligue des droits de l’homme ?

I-Dialogos : La publication de votre dernier livre semble souffrir d’une certaine censure, y compris médiatique, et même de la part des organisateurs du Prix Bayeux comme ce fut le cas pour la journaliste canadienne Judi Rever. 

Déo Namujimbo : J’ai été pendant six ans de suite membre du jury, de 2009 à 2014 du Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre. Curieusement, je n’y suis plus invité depuis la publication de mon livre Je reviens de l’enfer. Je n’ai compris ce revirement qu’en automne 2023 : j’ai été formellement invité à y participer mais j’ai commis l’énorme bêtise, en répondant à l’invitation, que je comptais y présenter « La Grande manipulation de Paul Kagame ».

Une heure plus tard, je recevais un courriel m’annonçant que je n’étais plus le bienvenu…

Comment un si petit pays comme le Rwanda peut-il dominer un géant de la taille du Congo, 94 fois plus grand que lui ? Bien entendu cela serait impossible sans l’appui d’Etats et de multinationales bien plus puissants.

Les publications

  • Déo Namujimbo, Merde in Congo : Recueil d’’articles publiés entre 2001 et 2009 sur l’’est du Congo « démocratique », Paris, Édilivre, 19 janvier 2010, 416 p. (ISBN 978-2-8121-2202-6)
  • Déo Namujimbo, On tue tout le monde… et on recommence : Reportage de guerre à l’est du Congo « démocratique », Paris, Édilivre, 9 février 2011, 374 p. (ISBN 978-2-8121-2117-3)
  • Déo Namujimbo, Je reviens de l’enfer : Reportage de guerre à l’Est de la RD Congo (août-septembre 1998), Paris, L’Harmattan, 2014, 192 p. (ISBN 978-2-343-02619-0)
  • Déo Namujimbo, Les sylvestres aventures de l’enfant-soldat, Roman jeunesse, L’Harmattan, 2021 99 p. (ISBN 978-2-343-22008-6)
  • Déo Namujimbo et Françoise Germain Robin, La Grande manipulation de Paul Kagame, éd. Arcane 17 [archive], avril 2023, 365 p.
  • En cours de publication : Déo Namujimbo, RDCongo – Rwanda : l’Eglise assassinée. Assassinats d’évêques, prêtres et religieuses de 1990 à 2010, éditions Il Portico, 2024 (préfacé par le cardinal Matteo Zuppi, président de la Conférence épiscopale italienne).
  • Déo Namujimbo, Petit manuel de journalisme pratique, en recherche d’éditeur

Récompenses 

L’œuvre de Déo et son engagement lui ont valu plusieurs titres et récompenses internationaux2. – Juin 1990 : Champion du Zaïre d’orthographe de langue française, scrabble et mots croisés – 2008 – Prix de la Plume d’Or (concours de maîtrise de la langue française organisé par l’association Défense de la Langue française en partenariat avec la Fondation des Alliances françaises et le Sénat) – 2010 – Prix Hewlett-Hamlett (prix pour la liberté d’expression, organisé par Human Rights Watch) – 2013 – Prix de la liberté d’expression (prix organisé conjointement par Oxfam Novib et PEN International) ; co-lauréat avec Samar Yazbek (écrivain et journaliste, Syrie), Enoh Meyomesse (écrivain et cofondateur de l’Association des écrivains camerounais, Cameroun), Nargess Mohammadi (activiste, journaliste et directeur du Centre des défenseurs des droits de l’Homme, Iran) et Büşra Ersanlı (chercheur et écrivain, Turquie)

Article original sur Pressenza.com