Le putsch d’août 1991 en URSS

DOSSIER TASS. L’Union soviétique a vécu du 19 au 21 août 1991 un putsch provoqué par la tentative d’un groupe de membres des échelons supérieurs du pouvoir d’empêcher la signature d’un nouveau Traité d’union qui, selon eux, signifiait la suppression de l’URSS en tant qu’État. TASS a préparé un dossier à l’occasion du 33e anniversaire de ces évènements.

Putsch d’août

Une crise politique éclate en Union soviétique en août 1991. Le Comité d’État pour l’état d’urgence en URSS (GKTchP) est mis en place et ses membres imposent l’état d’urgence dans le pays et tentent d’écarter le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev du pouvoir. Ses activités ont été considérées comme une tentative de coup d’État (le putsch d’août) par les présidents de l’URSS et de la RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie dans la composition de l’URSS), les structures législatives républicaines et nationales. La passivité des membres du Comité d’État, l’opposition active des autorités de la Russie, les protestations de la population à Moscou et à Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) ont fait échouer la tentative de coup d’État.

Situation en URSS en 1991

Dans les années 1980, l’Union soviétique se heurte à des difficultés économiques. Une grande partie de la population perd confiance en les dogmes de l’idéologie communiste officielle. Le retard économique et technologique de l’URSS par rapport aux pays occidentaux devient évident. La politique nationale soviétique conduit à la formation d’élites nationales indépendantes au sein de l’Union et des républiques autonomes. La tentative de réformer le système politique et économique du pays au cours de la perestroïka (1985-1991) aggrave les contradictions existantes et conduit à la montée du séparatisme et à l’émergence de conflits armés interethniques.

À l’initiative de Mikhaïl Gorbatchev, secrétaire général du comité central du Parti communiste de l’Union soviétique et président de l’URSS depuis mars 1990, le rôle du parti communiste, qui assurait l’unité du système étatique soviétique, est considérablement affaibli (en 1990, il a été complètement séparé de l’État). L’année 1988 voit arriver la “parade de la souveraineté”, lorsque les autorités des républiques proclamaient la suprématie des lois républicaines sur les lois de l’Union. En 1990, toutes les républiques adoptent des déclarations de souveraineté (tout en restant au sein de l’URSS), tandis que la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie proclament leur indépendance.

En 1990-1991, une véritable confrontation oppose Mikhaïl Gorbatchev au dirigeant de la RSFSR, Boris Eltsine.

Le 17 mars 1991, l’Union soviétique organise un référendum sur le maintien du pays. Neuf des quinze républiques de l’Union y ont participé (toutes sauf l’Arménie, la Géorgie, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie et l’Estonie). 80% des citoyens soviétiques y participent et 76,4% des votants se prononcent en faveur du maintien de l’URSS contre et 21,7% qui s’y opposent.

Un nouveau projet de Traité de l’Union est élaboré à l’initiative de Mikhaïl Gorbatchev. Du 23 avril au 23 juillet 1991, des négociations se tiennent entre lui et les présidents des neuf républiques (RSFSR, Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan et Ukraine) sur la mise en place de l’Union des Républiques souveraines soviétiques, qualifiées de “processus de Novo-Ogariovo”. En juillet 1991, les négociateurs approuvent en gros le projet d’accord et prévoient de le signer lors du Congrès des députés du peuple de l’URSS en septembre-octobre 1991.

Les 29 et 30 juillet 1991, Mikhaïl Gorbatchev tient des réunions secrètes avec le président de la RSFSR, Boris Eltsine, et son homologue kazakh, Noursoultan Nazarbaïev. Les trois hommes s’entendent pour reporter la signature du document au 20 août. Cette décision est motivée par la crainte de voir les députés voter contre le document qui prévoyait la création d’un État confédéral de facto où la plupart des pouvoirs étaient transférés aux républiques.

Le 2 août 1991, le président de l’URSS s’exprime à la télévision centrale pour déclarer que le nouveau Traité sera signé le 20 août par la RSFSR, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan (avant même la discussion et approbation par le Congrès des députés du peuple de l’URSS), alors que les autres républiques le feront “à certains intervalles”. Le texte du document n’est publié que le 15 août.

Évènements des 17 et 18 août 1991

À partir du 5 août 1991, le président de l’URSS part en vacances dans sa résidence de Foros, sur les côtes de Crimée.

Le 17 août 1991, une réunion se tient au siège du KGB en présence du premier ministre de l’URSS, Valentin Pavlov, de représentants du KGB et de la direction du parti. Ses participants estiment nécessaire de décréter l’état d’urgence dans le pays, de former le Comité d’État pour l’état d’urgence en URSS et d’empêcher la signature du nouveau traité. Pour donner le feu vert à ces mesures, il est décidé d’envoyer une délégation auprès de Mikhaïl Gorbatchev. Elle part pour la Crimée le 18 août. Selon le témoignage de Mikhaïl Gorbatchev, il n’avait pas donné son aval aux mesures qui lui étaient proposées, les qualifiant d'”aventure”. D’après l’un des témoins, Gorbatchev a terminé la conversation par ces mots: “Au diable, faites ce que vous voulez, mais faites connaître mon opinion.”

Le même jour, il est isolé dans sa résidence et les communications gouvernementales sont coupées. Selon d’autres témoignages, la sécurité exécutait tous ses ordres du président, les communications n’étaient coupées que dans son bureau et il était possible de négocier depuis les voitures du gouvernement équipées de téléphones satellitaires.

Dans la nuit du 18 au 19 août, à Moscou, le vice-président de l’URSS, Guennadi Ianaïev, signe un décret sur l’exercice des pouvoirs du président de l’URSS à partir du lendemain “en raison de l’impossibilité” pour Gorbatchev de les exercer “pour des raisons de santé”.

Évènements du 19 août

Le 19 août 1991, à 06h00, heure de Moscou, la radio et la télévision centrales de l’URSS donnent lecture à la Déclaration de la direction soviétique qui indique que les pouvoirs présidentiels reviennent à Guennadi Ianaïev, qui annonce que le GKTchP est formé et que ses décisions sont “obligatoires pour toutes les structures du pouvoir” et tous les citoyens et que l’état d’urgence est décrété “dans certaines régions de l’URSS pour une période de six mois”.

Le GKTchP décide de dissoudre immédiatement toutes les “structures anticonstitutionnelles du pouvoir et de l’administration, les formations paramilitaires” et d’annuler leurs décisions, de suspendre les activités des partis politiques, des organisations publiques et des mouvements de masse. Les rassemblements, les manifestations et les grèves sont interdits. Le contrôle de l’État sur les médias est établi (cependant, certains d’entre eux ne suivent pas les instructions du GKTchP). Les émissions à la télévision sont temporairement annulées et seul le ballet du Lac des cygnes est diffusé.

Pour mettre en œuvre l’état d’urgence, des troupes sont déployées à Moscou, dans les environs de Leningrad, à Tallinn, à Tbilissi et à Riga. Selon Igor Prostiakov, directeur du Cabinet des ministres de l’URSS, environ 4.000 militaires équipés de véhicules blindés sont entrés dans la capitale. Dans les républiques baltes, les troupes et la police prennent le contrôle de plusieurs bâtiments des structures du pouvoir et des médias.

Le président de la RSFSR, Boris Eltsine, refuse d’obéir au GKTchP et qualifie ses activités de “coup d’État anticonstitutionnel de la droite réactionnaire” proclamant les décrets du GKTchP invalides en RSFSR. Ses décrets exigent que toutes les structures exécutives soviétiques en Russie, y compris le ministère de la Défense, le KGB et le ministère de l’Intérieur, lui soient subordonnés.

À Moscou, plusieurs milliers de personnes se rassemblent devant le palais du Soviet suprême de la RSFSR (appelé “Maison-Blanche” à l’époque) sur le quai Krasnopresnenskaïa et commencent à ériger des barricades. Dans l’après-midi, Boris Eltsine monte sur le char n°110 de la division Taman et lance un appel aux manifestants rassemblés afin de s’élever contre le GKTchP. Le jour même, ce discours est diffusé à la télévision centrale. Des rassemblements contre le GKTchP se tiennent à Leningrad, Nijni-Novgorod, Sverdlovsk, Novossibirsk, Tioumen et dans d’autres villes russes. Les rédacteurs en chef de plusieurs médias fermés sur exigence du GKTchP font paraître un Journal commun où ils publient des documents soutenant les dirigeants russes.

La première et unique conférence de presse des membres du GKTchP se tient au service de presse du ministère des Affaires étrangères dans la soirée du 19 août et est retransmise en direct par la télévision centrale de l’URSS.

Réactions en URSS et à l’étranger

Les évènements en Union soviétique font réagir le monde entier. Le président américain George H. W. Bush publie une déclaration réclamant le retour au pouvoir du président de l’URSS et soutenant Boris Eltsine. Les actions du GKTchP sont condamnées par le premier ministre britannique, John Major, le président français, François Mitterrand, le chancelier allemand, Helmut Kohl, le premier ministre espagnol, Felipe Gonzalez et plusieurs autres dirigeants européens. Les leaders de la Libye, Mouammar Kadhafi, de la Palestine, Yasser Arafat, de la Serbie, Slobodan Milosevic, et de l’Irak, Saddam Hussein, expriment pour leur part leur soutien au GKTchP.

Évènements du 20 août

Environ 150.000 personnes participent à un rassemblement contre le GKTchP à Moscou et quelque 300.000 personnes à Leningrad.

Le même jour, le président de la RSFSR, Boris Eltsine, se charge, “jusqu’à ce que les structures constitutionnelles et les institutions du pouvoir d’État et de l’administration de l’Union des républiques socialistes soviétiques soient pleinement rétablis”, des pouvoirs de commandant en chef des forces armées sur le territoire de la Russie, en resubordonnant les hauts responsables de l’armée.

Évènements du 21 août

Des manifestants anti-GKTchP tentent à Moscou d’empêcher une colonne militaire de passer par le tunnel Tchaïkovski sur la ceinture des Jardins (aujourd’hui tunnel Novoarbatski). Trois manifestants – Dmitri Komar, Vladimir Oussov et Ilia Kritchevski – sont tués. Ce sont les seules pertes humaines de la crise du mois d’août.

Dans la matinée, lors d’une réunion du conseil d’administration du ministère de la Défense de l’URSS, la majorité soutient la nécessité du retrait des troupes de Moscou et du départ du ministre du GKTchP. Après la réunion du conseil, le ministre de la Défense, Dmitri Iazov, ordonne le retrait des troupes de la capitale.

Le Comité d’urgence de l’État décide d’envoyer une nouvelle délégation pour des négociations avec Mikhaïl Gorbatchev, mais celui-ci refuse.

Guennadi Ianaïev signe un décret sur la dissolution du GKTchP et l’invalidité de toutes ses décisions antérieures. Boris Eltsine publie de son côté un décret annulant les ordres du GKTchP, et le procureur de la RSFSR, Valentin Stepankov, ordonne l’arrestation de ses membres. Le parquet général de l’URSS ouvre une affaire pénale pour tentative de coup d’État.

Retour de Gorbatchev à Moscou, arrestation des membres du GKTchP

Dans la nuit du 22 août, Mikhaïl Gorbatchev rentre à Moscou. Il prononce un discours diffusé à la télévision centrale et remercie notamment Boris Eltsine pour avoir été “au centre de la résistance au complot”, appelant à “avancer plus vite sur la voie des réformes radicales”. Il annule toutes les décisions du GKTchP et démet de leurs fonctions les membres et sympathisants du Comité d’État.

Le 22 août, les principaux membres du GKTchP – Guennadi Ianaïev, Vladimir Krioutchkov, Dmitri Iazov et Alexandre Tiziakov – sont arrêtés. Le ministre de l’Intérieur de l’URSS, Boris Pougo, se suicide.

Suite des évènements et dissolution de l’URSS

La crise d’août a conduit au renforcement des tendances centrifuges en URSS, à l’affaiblissement des autorités de l’Union et à la perte des véritables leviers d’influence par Mikhaïl Gorbatchev. Après les événements d’août 1991, les républiques de l’Union dont les dirigeants ont participé aux négociations de Novo-Ogariovo déclarent leur indépendance: l’Ukraine le 24 août, l’Azerbaïdjan le 30 août, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan le 31 août et les autres entre septembre et décembre 1991.

Le 26 décembre 1991, le Conseil des républiques du Soviet suprême de l’URSS adopte une déclaration selon laquelle l’Union soviétique cesse d’exister en tant qu’État et sujet du droit international.