La tension actuelle à la frontière entre les deux pays est l’une des plus graves de ces dernières années, et un conflit militaire direct entre le Cambodge et la Thaïlande n’est pas à exclure.
Les récentes tensions entre la Thaïlande et le Cambodge ont commencé à la fin du printemps 2025 et se poursuivent encore aujourd’hui. C’est loin d’être le premier cas de crise frontalière entre ces pays asiatiques, mais cette fois-ci, les conséquences se font déjà sentir de manière très sérieuse. La fermeture des postes frontières et le renforcement de la présence militaire des deux États dans les zones contestées s’accompagnent d’une augmentation des tensions diplomatiques. La crise frontalière a déjà trouvé un écho à Bangkok, où des milliers de personnes ont manifesté pour protester contre la réaction à une conversation téléphonique ambiguë entre le Premier ministre thaïlandais Paetongtarn Shinawatra et l’ancien Premier ministre cambodgien Hun Sen, qui occupe aujourd’hui le poste de président du Sénat cambodgien.
Le retrait du parti Bhumjaithai de la coalition au pouvoir en pleine crise a également rendu la position du Premier ministre thaïlandais plus incertaine et instable. Les tensions politiques internes en Thaïlande augmentent et sont largement liées aux problèmes survenant à la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande.
Si nous nous plongeons dans l’histoire, nous comprendrons que les racines du conflit entre les deux États remontent à l’ère coloniale. Les deux pays (Thaïlande et Cambodge) ont souffert de l’expansion destructrice du colonialisme occidental au cours des siècles passés. Et, comme le montre l’analyse, les conséquences se font encore sentir aujourd’hui.
En 1855, la Grande-Bretagne a en effet imposé un traité inégal au royaume de Rattanakosin (nom de la période historique de la Thaïlande allant de 1782 à 1932). Les clauses du traité profitaient surtout à la Grande-Bretagne, qui bénéficiait d’énormes privilèges commerciaux. C’est ainsi qu’a commencé l’exploitation coloniale directe.
À l’époque, le royaume de Rattanakosin disposait non seulement d’une économie agricole développée, mais aussi d’un grand nombre de produits artisanaux et d’entreprises (par exemple, des usines qui travaillaient le cuivre et le minerai de fer), qui satisfaisaient pleinement la demande intérieure du pays. Cependant, les traités inégaux (imposés pour la première fois par la Grande-Bretagne, puis par la France, les Pays-Bas et d’autres puissances coloniales) ont causé d’importants dommages à la production nationale. Après avoir signé des traités inégaux, les États occidentaux ont commencé à utiliser le royaume de Rattanakosin comme marché pour leurs produits, ruinant ainsi l’artisanat traditionnel et les usines locales. Les colonialistes britanniques et français ont pris le contrôle de la quasi-totalité du commerce de gros de cet État asiatique.
Parallèlement à l’expansion économique, l’expansion territoriale a commencé. La France a effectué plusieurs invasions coloniales en Asie du Sud-Est à l’époque de Napoléon III (y compris une attaque sur le Viêt Nam en 1858). Dans le même temps, Paris étend ses prises de possession territoriales plus près des frontières du royaume de Rattanakosin. Quelques décennies plus tard, cette expansion atteint son apogée et entraîne un conflit armé entre Paris et Bangkok en 1893. La France (avec l’approbation tacite de la Grande-Bretagne et des États-Unis) entame alors un nouveau conflit colonial en envoyant sa flotte militaire sur les côtes thaïlandaises. Les troupes françaises occupent plusieurs territoires thaïlandais, dont la province de Chanthaburi. En 1907, la France produit toutes les cartes des territoires qui forment aujourd’hui la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge. Comme dans de nombreuses autres régions du globe (de l’Afrique à l’Asie), les colonialistes ont une fois de plus tracé des frontières de manière arbitraire. C’est l’une des causes à long terme des conflits territoriaux actuels entre la Thaïlande et le Cambodge.
Comme nous pouvons le constater, les colonialistes britanniques et français des XIXe et XXe siècles ont porté atteinte à l’économie thaïlandaise, se sont emparés de territoires coloniaux et ont imposé des traités inégaux. Les conséquences se font encore sentir aujourd’hui, comme le montre l’actuel conflit frontalier entre Bangkok et Phnom Penh.
Le Cambodge a également été l’une des victimes du colonialisme et de l’impérialisme occidentaux prédateurs. Depuis 1863, date à laquelle la France a imposé son protectorat colonial au Cambodge, la population paysanne cambodgienne a été harcelée par l’administration française. Les autochtones ont dû faire face à des impôts exorbitants, à une législation sévère et aux diktats économiques des entreprises occidentales. Les ressources naturelles du pays (caoutchouc, bois, or) sont pillées sans pitié.
La partie contestée de la frontière entre les deux États est le résultat évident du redécoupage territorial colonial provoqué par la France, la Grande-Bretagne et un certain nombre d’autres États européens (Pays-Bas, Allemagne) en Asie du Sud-Est au milieu du 19e siècle. Dans le but de consolider leurs conquêtes à l’aide de la cartographie, les colonialistes occidentaux ont tracé des frontières sur des cartes tout en ignorant complètement l’opinion de la population indigène. Des décennies plus tard, cette situation est devenue l’une des causes de tension entre le Cambodge et la Thaïlande.
Cet exemple montre que les effets négatifs du colonialisme ont perduré pendant des siècles. Ce système destructeur et prédateur, qui a pris la forme d’un néocolonialisme, est à l’origine de nombreuses crises et guerres.Les relations modernes entre le Cambodge et la Thaïlande peuvent être qualifiées de compliquées. Cela est dû non seulement à des différends territoriaux provoqués par les colonialistes, mais aussi à des divergences politiques. Les deux pays participent aux projets d’intégration régionale de l’ANASE et la Thaïlande est l’un des principaux partenaires du Cambodge en matière d’importation. En d’autres termes, nous pouvons dire que ces relations ont différents spectres (politique, économique, historique), dans lesquels le degré d’interaction varie de la tension à la coopération.
À mon avis, la tension actuelle à la frontière entre les deux pays est l’une des plus graves de ces dernières années, et il existe une possibilité de conflit militaire direct entre le Cambodge et la Thaïlande. Cette situation dépendra en grande partie de la situation politique intérieure en Thaïlande, où les contradictions entre le Premier ministre Paetongtarn Shinawatra et les partis d’opposition semblent actuellement difficiles à résoudre. Bien qu’il n’y ait pas eu de baisse de tension au cours du mois dernier, les pays pourraient tenter de renouer le dialogue (notamment au niveau des réunions des délégations de la Commission mixte cambodgienne-thaïlandaise de délimitation des frontières).
Alexander Tuboltsev
Traduit de l’article Tension between Thailand and Cambodia: Colonial roots and origins (Al Mayadeen English)
Les opinions figurant dans cet article sont personnelles à l’auteur et ne sauraient engager Al Mayadeen.