Nonobstant l’impression, vraie ou fausse, comme quoi Trump est « dans les pattes » de ses électeurs sionistes, certains facteurs fondamentaux, qu’on se garde de rappeler, donnent à penser que la solution politique, en fin de compte, prévaudra.
Au Moyen-Orient, selon les médias « traditionnels », tout semble impossible pour parvenir à donner un jour la paix aux Palestiniens : Le Hamas est aux abois, Israël, même s’il n’a pas atteint ses buts de guerre, en particulier « l’éradication » de son adversaire, les reprendra dès que les derniers otages auront été libérés. De plus, Trump semble aller, tant par ses déclarations (faire de Gaza une nouvelle Riviera) que par ses actes (levée des sanctions prises précédemment contre certains colons) dans le sens de Netanyahu et de la droite israélienne pour enfin construire le « Grand Israël ».
Pourtant, un examen un peu moins partial du dossier tend à montrer que les choses sont beaucoup moins tranchées :
Tsahal est « vietnamisé »
Récemment, le général Eyal Zamir, désigné comme futur CEMA (1) en remplacement du général Herzi Halevi, à partir du 6 mars 2025, a dévoilé le « pot aux roses », qui est un secret de Polichinelle en Israël : les chiffres des morts et des blessés de Tsahal ont été totalement falsifiés (2).
Les vrais chiffres sont beaucoup plus élevés : au lieu des 844 morts et des 5600 blessés officiellement reconnus, Eyal Zalir affirme qu’il y a à ce jour 5942 « familles endeuillées », et plus de 15.000 soldats admis dans le « système de réhabilitation ». Cela rejoint les statistiques de la presse israélienne qui indiquait, en décembre dernier, plus de 10.000 soldats blessés. Et cela n’inclut pas les milliers de conscrits psychologiquement hors d’état de servir, soit parce qu’ils refusent, soit parce qu’ils sont gravement en dépression, soit même parce qu’ils se sont suicidés (3).
En face, le Hamas, qui, selon les dires occidentaux, était virtuellement détruit, a fait, lors de la libération des otages, une extraordinaire démonstration de force et, en prenant Israël de court, une opération de communication très réussie, tant à destination de la nation palestinienne qu’à celle des pays extérieurs, leur disant « Nous sommes toujours là ! Nous sommes plus forts et incontournables que jamais ! ». Sauf à tenter de nier l’évidence, les images parlent d’elles-mêmes : le Hamas se comporte comme un gagnant et non comme un perdant. Auparavant, Antony Blinken l’avait déjà reconnu en affirmant que les forces armées gazaouies s’étaient entièrement reconstituées au fil de la guerre.
La meilleure preuve que cette interprétation est la bonne est le fait que, en quinze mois d’opérations, Tsahal n’a récupéré aucun otage vivant (4). La vérité est donc claire : l’armée israélienne, aujourd’hui, n’a plus les moyens de soutenir une guerre longue. C’est la raison pour laquelle Netanyahu a accepté un cessez-le-feu aussi mauvais pour son camp (5). En réalité, en lui forçant la main (c’est en tout cas la version officielle…), Trump lui a « sauvé la mise », et l’a sorti d’un très mauvais pas. Aujourd’hui, lorsqu’il parle de reprendre demain la guerre, en réalité, Netanyahu bluffe. Il sait qu’il ne le pourra pas. C’est aussi pour cette raison que le Hamas poursuit, à la façon d’un métronome, la libération de ses otages. En réalité, il n’en a plus besoin, car il est sûr de sa force. Militairement, bien que peu aient le courage de le dire, les jeux sont faits. Seule une négociation politique permettra à Israël de se sortir de ce guêpier. Il le sait, mais il donne le change, et il allume des contre-feux en Cisjordanie, pour tenter d’éviter l’irréversible. Cela ne fera que retarder l’échéance, et affaiblira encore plus sa position.
Le coût exorbitant de la guerre pour Israël
Récemment, un haut fonctionnaire israélien faisait le détail du coût de cette guerre pour son pays. Il indiquait que si l’on ajoutait « les sorties aériennes, les missiles Patriot, le ravitaillement des véhicules, la consommation de missiles et de munitions, l’arrêt des échanges commerciaux, la chute de la Bourse, la suspension des institutions et des chantiers de construction, le blocage de tous les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, la mort des volailles dans les fermes, pour des millions de USD, les lignes aériennes et ferroviaires paralysées, sans oublier le coût de l’alimentation des réfugiés dans les abris, et les destructions causées par les roquettes palestiniennes aux maisons, commerces, voitures et usines » (et l’on pourrait rajouter les ports au ralenti du fait des Houthis), le coût global pour Israël, tous les trois jours, dépasse 900 millions de USD, ce qui fait, chaque mois, une perte de 9 milliards de USD, et pour les 15 mois de guerre, plus de 135 milliards de USD. Si Netanyahu veut, comme il l’affirme, « éradiquer le Hamas », et en supposant qu’il dispose de l’instrument militaire approprié, il lui faudrait, au bas mot, encore un an de guerre. Vu la situation dans laquelle il est déjà, où trouvera-t-il 110 milliards de USD de plus pour terminer son affaire ? Et pense-t-on que Trump, qui ne cesse de dire qu’il veut « rendre l’argent aux Américains », se lancera dans cette nouvelle aventure ? Qui peut le croire ?
MBS, le « caillou dans la chaussure »
Soit qu’il le fasse volontairement, pour faire à ses soutiens sionistes le « coup de Mostaganem » (6), soit qu’il ne sache pas trop comment manœuvrer à ce stade, dans tous les cas, Trump va se heurter à MBS (7), le dirigeant saoudien. S’il a été très neutre, sans afficher très ouvertement ses préférences dans ce conflit (pour ne froisser ni les Chinois et les Iraniens, ni les Américains), ce dernier a signifié très clairement à Trump qu’il n’accepterait pas d’entrer dans le processus d’Abraham sans la solution politique d’un État palestinien. C’est la raison pour laquelle, jusqu’ici, il s’est bien gardé d’intégrer les BRICS, pour ne pas avoir à choisir son camp. Mais s’il était amené à le faire, par indécision américaine, cela reviendrait à ouvrir son pays définitivement aux Russes et aux Chinois. Pour les USA, cela serait une défaite commerciale et diplomatique totale, la fin d’une alliance exceptionnellement solide de près de 80 ans. C’est absolument inconcevable pour Trump. De plus, comme il l’a rappelé à plusieurs reprises pendant la campagne, MBS devrait investir près de 600 milliards de USD aux USA, à un moment où Trump a impérativement besoin de financer le renouveau de son industrie. Peut-il décliner l’argent saoudien ?
En y rajoutant l’action fondamentale des habitants de Gaza-Nord, qui sont rentrés chez eux et n’en bougeront plus, où que l’on regarde, les fondamentaux sont là. Quels que soient les atermoiements, gesticulations ou rodomontades des uns et des autres, ou les rêves de « Grand Israël », la solution politique va s’imposer, tout simplement parce que c’est la seule issue possible. Au vu du spectacle actuel, et de sa maîtrise remarquable des théâtres, tant militaire que médiatique, on peut penser que le Hamas saura tirer son épingle du jeu favorablement.
François Martin
(1) Chef d’état-major de armées
(2) https://www.youtube.com/live/likMqKmbp6w?si=mzp0aoc3UhuqHkZy
(3) Report shows thousands of Israeli soldiers stopped serving in combat roles • FRANCE 24 English
(4) Les seuls qu’il a retrouvés, qui s’étaient échappés, ont été tués par erreur par ses propres soldats…
(5) Évacuation des couloirs de Netzarim et de Philadephie, abandon du poste-frontière de Rafah, libération de prisonniers « dangereux » condamnés à perpétuité, retour des Palestiniens dans la zone Nord, etc.
(6) À Mostaganem, Charles de Gaulle avait lancé aux Français d’Algérie « Vive l’Algérie française ! » avant de les trahir trois ans plus tard…
(7) Mohammed ben Salmane