Ce 1er août marque le premier anniversaire de la libération du journaliste Pablo González. Après avoir passé près de deux ans et demi dans une prison de haute sécurité en Pologne, avec la violation manifeste de tous les droits censés être garantis dans un pays membre de l’Union européenne…
Il a été libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers entre les États-Unis, leurs alliés européens et la Russie, dans le contexte d’une négociation de grande ampleur impliquant de nombreux acteurs. Pourtant, dès le premier jour de sa libération, il est resté la cible d’un lynchage médiatique. Mensonges et suppositions ont nourri la construction d’un récit inquisitorial à son encontre, les grands médias l’ayant condamné d’emblée, sans même lui accorder le bénéfice de la présomption d’innocence.
À ce jour, il est la seule personne parmi toutes celles qui ont été libérées dont le dossier n’a toujours pas été clos. L’ancien président Biden a accordé des amnisties aux détenus libérés par les États-Unis, et plusieurs pays européens ont trouvé des formules juridiques pour libérer et blanchir leurs ressortissants. La Russie en a fait autant. Seule la Pologne, pour des raisons obscures liées à sa politique intérieure — et à l’OTAN ? — maintient l’affaire ouverte.
Il semble pour le moins inhabituel — voire totalement anormal — qu’un État, après avoir libéré un prisonnier dans le cadre d’un accord d’échange, engage ensuite des poursuites à son encontre. D’autant plus après l’avoir maintenu en détention provisoire, sans charges précises, pendant 886 jours.

En tant que collectif LoQueSomos, nous avons suivi dès le premier jour la détention et l’emprisonnement de Pablo González — sans preuves ni inculpation formelle, on pourrait parler d’un véritable enlèvement. Nous avons maintenu une position claire : défendre les droits humains, les garanties procédurales, le droit à l’information et la liberté de communication. Nous savons que les accusations portées n’ont rien à voir avec un quelconque espionnage, mais uniquement avec l’exercice du journalisme, et plus particulièrement du journalisme d’investigation. On ne lâche rien !
À distance, nous avons pu échanger avec Pablo González, contraint pour sa sécurité de rester en Russie, car dans l’espace du « jardin européen », il risquerait à tout moment d’être arrêté et extradé à nouveau vers la Pologne.
Un an après sa libération, Pablo prend la parole !
LoQueSomos : La première chose que nous voulons te demander, c’est comment tu te sens, physiquement et moralement, après cette expérience traumatique d’un emprisonnement de deux ans dans des conditions proches de l’isolement.
Pablo González : Je vais beaucoup mieux. Je suis revenu à la vie, même s’il reste encore quelques séquelles sur le plan psychologique, mais cela semble normal. Rien d’extraordinaire, à en croire les personnes ayant traversé des situations similaires ou les psychologues.
En général, je suppose qu’il n’est pas simple de revenir de tout cela. Dans mon cas, ce n’est pas un retour à ma vie d’avant, mais à une situation nouvelle et anormale. Il est difficile de voir le côté positif, mais j’ai des personnes formidables autour de moi, et cela rend les choses possibles.
LQS : Tu as pu revoir tes enfants après tout ce temps. Comment s’est passé ce moment ?
PG : Je n’aime pas trop parler de ma vie personnelle, mais je peux vous dire que nous faisons de notre mieux pour reconstruire notre relation. Le temps qui nous a été volé ne pourra jamais nous être rendu. Mais aujourd’hui, nous pouvons à nouveau profiter les uns des autres.

LQS : Juridiquement, où en est ton affaire en Pologne ?
PG : Je ne le sais pas très bien — ni moi, ni eux (le parquet, les juges, les autorités). Ils ne peuvent pas me juger en mon absence. Et à distance, ils ne peuvent plus rien me faire. Leur seule arme, c’est de me menacer ou d’essayer de m’empêcher de remettre les pieds en toute sécurité dans l’UE.
C’est pourquoi l’affaire sera probablement suspendue, ou bien close un jour. Je n’en sais rien. Et eux non plus n’ont sans doute pas intérêt à la maintenir trop longtemps, car si aucune inculpation formelle n’a été présentée alors qu’ils m’avaient sous leur contrôle, c’est bien que leur dossier est vide — du point de vue des soi-disant preuves accumulées, c’est une coquille vide.
Pendant un certain temps, ils ont fait semblant d’avancer dans l’affaire, mais c’était surtout pour sauver les apparences. Et puis, il reste toujours la possibilité qu’on m’accuse de viol du secret de l’instruction si je parle des détails de mon propre dossier.
Ils ont pourtant permis à certains médias d’avoir accès au dossier, et ce qu’il en ressort, c’est… rien du tout. Mais si moi, j’en parle sans détour, je risque des poursuites. Pour l’instant, cette menace me limite dans une certaine mesure — mais cela ne durera pas éternellement.
LQS : Peux-tu voyager en Espagne ou dans d’autres pays de l’UE en toute sécurité ?
PG : Je peux voyager, mais sans aucune garantie que mes droits fondamentaux y seront respectés.
« Le droit international n’existe pas. C’est une farce. Les droits de l’homme, les droits des détenus, etc., n’existent pas lorsque ceux qui les bafouent sont précisément les États qui se sont autoproclamés “communauté internationale”… »
LQS : Vas-tu, pour l’instant, continuer à résider en Russie ?
PG : Je ne sais pas. Pour le moment, oui, mais on verra avec le temps. La Russie est un pays incroyable, vaste, diversifié et de plus en plus moderne dans ses villes, avec une nature magnifique dans de nombreuses régions. C’est un pays magnifique pour y vivre. Cela ne veut pas dire qu’il est parfait, loin de là — il y a des problèmes, des choses à améliorer — mais dans l’ensemble, les progrès accomplis en trente ans (depuis que je n’y ai plus vécu) sont impressionnants. Je redécouvre ce pays et je commence à en profiter petit à petit, maintenant que je relève la tête.
Cela dit, le monde est vaste. Il y a tant d’endroits à visiter, tant de lieux où vivre. Je suis une personne libre, et désormais, je suis le seul à décider ce que je fais et où je vis.

LQS : Comment se passe ta vie à Moscou ?
PG : Pendant les premiers mois, il s’agissait avant tout de récupération. Psychologique et physique. Reprendre pied sur beaucoup de plans. Lire les informations accumulées pendant deux ans et demi très intenses. Et je ne parle pas tellement de politique, de mon affaire, de la guerre ou de sujets globaux, mais plutôt de choses simples et quotidiennes.
Petit à petit, j’ai recommencé à reprendre contact avec mes amis — un processus encore en cours, car je continue à m’ouvrir. Aujourd’hui, je suis à nouveau actif sur les réseaux. Je fais du sport. J’essaie de manger sainement. Et je réfléchis au format dans lequel j’aimerais retravailler. Le journalisme m’appelle, mais un retour prématuré, ou dans une forme qui ne corresponde pas à la personne que je suis aujourd’hui, serait néfaste. Je pourrais même envisager de quitter définitivement ce métier, car il est devenu un marécage peu attrayant.
LQS : Dans ce que l’on appelle le « bloc occidental », tu as été stigmatisé comme “espion”, malgré l’absence de preuves. Il te sera sans doute difficile de retravailler comme journaliste, du moins à court terme. Comment envisages-tu ton avenir professionnel ?
PG : Le « bloc occidental » n’est pas homogène. Il y a énormément de gens qui se rendent compte que les médias mentent de plus en plus. Et que le niveau de professionnalisme des journalistes baisse, surtout en matière internationale.
Il y a une vraie demande pour une information alternative, qu’on ne trouve pas dans les grands médias. Et ces mêmes médias ont eux-mêmes de plus en plus de difficultés : ils cherchent à survivre comme ils peuvent. Donc je ne vois pas d’obstacle majeur à reprendre une activité d’une manière ou d’une autre.
Mais je l’ai dit : revenir « au plus vite » n’est pas ma priorité. Je veux reprendre selon mon propre rythme, une fois que je serai prêt et sûr de mes choix.

LQS : Le public de LoQueSomos connaît bien ton histoire, à laquelle nous avons largement consacré notre attention, de ta détention à ta libération. Mais il reste toujours la question centrale : pourquoi tout ce montage ? Dans quel but ?
PG : En résumé, on m’a écarté dès le début de l’« opération militaire spéciale » (c’est ainsi qu’on désigne en Russie l’intervention en Ukraine lancée en 2022). Par qui ? C’était essentiellement une opération britannique. Comme beaucoup d’autres qui sont menées dans l’espace médiatique espagnol et dans d’autres pays.
Pendant que l’État espagnol refusait de prendre de véritables mesures contre moi, les Polonais, eux, ont donné libre cours à leur russophobie et m’ont arrêté. Cela n’a pas vraiment fonctionné pour eux, mais à ce stade, cela leur importe peu.
Mon travail aurait-il pu avoir une influence ? Peut-être pas. Mais à leurs yeux, c’était plus sûr ainsi. Un type comme moi à la télévision : avec la double nationalité, de gauche, russophone, des contacts des deux côtés du front, relativement respecté dans les deux camps, et avec une solide expérience de la région depuis 2014 — j’aurais pu informer, expliquer, mieux faire comprendre ce qui se passait et ce qui se passe encore.
Mais cela aurait pu ébranler un peu la ligne narrative de la propagande lancée depuis le Royaume-Uni. Une propagande qui, aujourd’hui, a largement démontré qu’elle mentait : bon nombre de ses arguments et de ses données sont complètement faux, d’autres sont des manipulations.
LQS : Deux ans de prison dans des conditions extrêmement dures, sans qu’aucune preuve n’ait été présentée contre toi… pour qu’au final, tout tombe à l’eau. Comment as-tu fait pour rester lucide dans un régime de semi-isolement ? Attends-tu une indemnisation de la part des autorités polonaises ? Existe-t-il un recours possible en droit international ?
PG : Le droit international n’existe pas. C’est une farce. Les droits de l’homme, les droits des détenus, tout cela n’existe plus dès lors que ceux qui les violent sont précisément les États qui se sont autoproclamés « communauté internationale ». Quant à savoir si je vais engager une procédure ou non, cela reste à voir. Mais quelques milliers d’euros, obtenus après de longues années, ne me rendront rien. D’ailleurs, l’État espagnol n’est pas tellement meilleur que l’État polonais à cet égard. Mais il faut reconnaître que les Polonais, eux, font des efforts remarquables pour figurer parmi les plus inhumains de l’UE.
Dans l’isolement, il est très difficile de tenir. Ce qui m’a aidé, ce sont plusieurs choses : le soutien venu de l’extérieur, le soutien d’autres détenus, la réflexion intérieure et un travail mental constant, le sport, et surtout, ne jamais perdre sa dignité. C’est cela qui m’a permis de tenir bon.

LQS : Concernant le rôle qu’ont joué les autorités espagnoles et européennes tout au long de cette affaire, as-tu quelque chose à dire ?
PG : Elles n’ont absolument rien fait pour m’aider. Leurs doubles standards sont connus dans le monde entier. Cela les discrédite de plus en plus. Plus personne ne croit à leur discours sur de prétendues valeurs.
LQS : Et concernant la profession journalistique ?
PG : J’en ai déjà dit pas mal. Il y a d’excellents journalistes pour les sujets locaux, le sport, la culture… Mais sur l’international, c’est bien plus faible — du moins en ce qui concerne la Russie et les pays de la région.
« Je tiens à remercier toutes les camarades, amis, connaissances, et même toutes ces personnes inconnues pour moi auparavant, pour le soutien que j’ai reçu. Cela me montre qu’il y a beaucoup de bonté dans notre société, et cela me motive à reprendre mon travail, ne serait-ce que pour rendre une infime partie de ce soutien… »
LQS : La majorité des informations biaisées publiées à ton sujet dans l’État espagnol provenaient de Xavier Colás, dans El Mundo, qui s’appuyait lui-même sur les publications d’un média numérique russe, Agenstvo, financé par des fonds américains. Que sais-tu d’Agenstvo ? Pourquoi cette campagne de désinformation contre toi ? Pourquoi Colás en a-t-il été le relais en Espagne ?
PG : Chacun fait ce que lui demandent ceux qui tiennent les cordons de la bourse. Les médias russes « indépendants » sont tous, sans exception, financés par l’Occident. Ce sont des fonds étatiques, et non des dons indépendants. Et c’est bien connu : ce sont les services de sécurité qui décident qui touche cet argent et qui n’y a pas droit.
Personnellement, je connais plusieurs de ces « opposants » russes. Ce sont des agents stipendiés, et ils ne s’en cachent même pas. Ils accusent les autres — moi y compris — d’être ce qu’ils sont en réalité. Mais après deux ans et demi de détention, ils n’ont même pas pu produire la moindre preuve un tant soit peu crédible contre moi. C’était simplement une campagne de discrédit, aussi grossière que honteuse pour ceux qui y ont participé.
Quant au personnage dont vous me parlez, il me traitait déjà d’etarra (terme péjoratif désignant un membre ou un sympathisant de l’organisation armée ETA) en 2015. Rien de nouveau sous le soleil. Lui aussi doit bien manger, payer ses factures et s’offrir son petit moment de gloire.

LQS : Que penses-tu de la situation actuelle de la guerre en Ukraine ? Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, la fin de la guerre est-elle plus proche ?
PG : La guerre se poursuivra jusqu’à ce que la Russie atteigne ses objectifs. À ce stade, il ne peut en être autrement. Moscou a tenté de négocier depuis 2014. Il y a eu différents accords que Kiev a signés mais n’a jamais respectés. Huit ans ont passé jusqu’en 2022. Aucun progrès, seulement plus de répression contre la population russe et russophone, des laboratoires, des bases étrangères, des groupes néonazis, une idéologie de plus en plus exclusive. Tout ce qui semblait être de la propagande conspirationniste russe s’est, avec le temps, révélé exact.
Que ce soit Biden, Trump ou un autre à la présidence, cela ne changera rien. Ils peuvent influencer leurs marionnettes à Kiev, mais je doute qu’ils le fassent. Les États-Unis ont intérêt à une guerre au cœur de l’Europe. On ne peut donc pas s’attendre à ce qu’ils mettent fin à quelque chose qui sert si bien leurs objectifs géopolitiques.
LQS : Comment perçoit-on, depuis la Russie, le réarmement actuel des pays de l’OTAN ?
PG : On doute que ce réarmement soit réellement effectif. Mais globalement, cela ne change pas grand-chose. L’industrie européenne est incapable de produire suffisamment de munitions pour l’Ukraine — alors en matière d’armement, n’en parlons même pas.
La Russie a répété à de multiples reprises qu’elle n’a ni plan ni volonté d’attaquer l’OTAN. Si un jour l’OTAN attaque, nous serons face à un conflit nucléaire qui transformera les pays baltes, la Pologne et la Roumanie en terrains vagues. Point. Tout cela paraît peu réaliste.
En revanche, il semble très réaliste que les autorités européennes actuelles profitent de la vague de panique qu’elles ont elles-mêmes provoquée pour restreindre les libertés et démanteler ce qu’il reste de l’État-providence européen.
LQS : Y a-t-il quelque chose que tu souhaites ajouter, que nous ne t’aurions pas demandé ?
PG : Je veux remercier Oihana, la mère de mes enfants, pour tout ce qu’elle a fait afin d’obtenir ma libération. Elle a été le moteur principal de ma défense et c’est grâce à elle que ma situation n’a pas été encore plus grave. Je lui dois énormément.
Je tiens également à remercier toutes les camarades, amis, connaissances, et même les personnes inconnues auparavant, pour le soutien reçu. Cela me prouve qu’il y a beaucoup de bonté dans notre société, et cela me donne envie de retourner au travail, pour rendre ne serait-ce qu’un peu de tout ce soutien.
Je remercie aussi certains responsables politiques, en particulier ceux de Bildu, mais aussi de Podemos et d’autres partis de gauche. Et enfin, mes défenseurs : Gonzalo Boye ainsi que l’équipe juridique en Pologne.

Merci beaucoup, Pablo. Nous espérons te revoir bientôt en Euskal Herria, pour partager de longues conversations et te serrer fort dans nos bras.
Pour en savoir plus sur l’affaire de Pablo González (en espagnol)
Par LQSomos / Ont participé à cet entretien les membres du collectif éditorial de LoQueSomos : Cristina Ridruejo, Javier Sáenz Munilla et Iñaki Alrui.
Traduit de l’article Pablo González: un año en Libertad… cuestionada (LoQueSomos)