Le monde à la croisée des chemins

Avec le basculement du nord vers le sud, l’équilibre du monde a fondamentalement changé. Donald Trump l’a compris et en a tiré la bonne conclusion : les rêves d’hégémonie des États-Unis sont terminés. Il est temps de rebâtir la puissance américaine à partir de ses propres forces (MAGA) pour repartir à l’assaut du nouveau monde multipolaire à partir du commerce. Pour cela, il faut arrêter les guerres. Et c’est là que les problèmes commencent… 

Trump a compris la folie du projet démocrate et néo-conservateur, celui de l’hégémonie américaine sur le monde, incarnée par le livre « Le grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski et la devise néo-conservatrice de la « benevolent global hegemony » (l’hégémonie globale bienfaisante !). Il a eu le courage de proclamer que l’avenir de son pays était désormais dans le partage du pouvoir avec d’autres (en particulier la Chine et la Russie) dans un monde devenu multipolaire. Dans cette nouvelle configuration, ce n’est plus la guerre, mais le commerce et la diplomatie qui feront demain la différence, et pour cela, il faut arrêter les conflits en cours, facteurs de dépenses gigantesques pour l’Etat et empêchant de déployer véritablement les affaires. 

Fort de cette vision du monde, Trump s’est attaqué à ses trois grands chantiers, deux guerres militaires (en Ukraine et en Palestine) et une guerre commerciale (en Chine). 

La première date de 1945, lorsque les USA et la Russie, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, se sont partagés la domination sur le monde. Après l’avoir presque écrasé en 1989, les États-Unis n’ont pu éviter la remontée progressive de leur adversaire, et se sont aperçus, avec la guerre d’Ukraine, paroxysme de cette rivalité tutélaire, qu’il était devenu trop puissant pour pouvoir le vaincre, militairement ou économiquement. Ils ont donc commencé, avec Trump, une manœuvre de contournement de leur « proxi » ukrainien, préparant une future trahison de celui-ci, afin d’ouvrir tout grand les portes d’une réconciliation avec la Russie, et y appliquer ensuite le principe « La main que tu ne peux couper, achète-la ».

Au Moyen-Orient, la configuration est ressemblante. Là, le « proxy » israélien, embourbé depuis sa fondation en 1948 dans une guerre sans fin avec les Palestiniens, avec pour objectif fou l’annihilation complète de ce peuple, coûte de plus en plus cher, et empêche à la fois le déploiement des marchés régionaux, ceux du Golfe en particulier, et la réconciliation avec l’Iran, un pays au gigantesque potentiel, et avec qui tous les pays des BRICS, demain, commerceront, à l’exception des USA. Insupportable ! Pour cela, tout comme en Ukraine, Trump a commencé une manœuvre d’encerclement, visant à isoler son partenaire Israël : tournée triomphale dans le Golfe, accord séparé avec les Houtis du Yemen, fin des sanctions en Syrie, négociation avec l’Iran, sur le nucléaire aujourd’hui, sur le commerce, certainement, demain. Dans cette affaire, la trahison d’Israël, dont la politique radicale reste une pierre d’achoppement vis-à-vis d’une recherche de prospérité régionale, est déjà écrite dans les astres. Comme le dit l’Évangile : « À vin nouveau, outres neuves ! ». 

En Chine, c’est un autre problème. Depuis que ce pays s’est ouvert au monde, avec Deng Xiaoping, en 1978, les hommes d’affaires occidentaux ont compris qu’il était furieusement intéressant pour leurs marges de faire fabriquer leurs produits dans ce pays, à un coût bien inférieur à celui de leurs usines nationales,… et les Chinois ont compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de la contrefaçon ! La rapacité des uns et des autres a fait le reste, et a entraîné à la fois la fortune incommensurable des oligarques mondialistes occidentaux opérant en Chine, et un rapide développement de la Chine, avec une forme d’hégémonie industrielle, qui a eu pour conséquence la désertification industrielle de l’Occident en général, et la fracture sociale béante qui va avec. Là aussi, Trump a décidé de s’attaquer au problème, et de rééquilibrer les choses, avec des droits de douane, afin de restaurer l’équilibre commercial avec les chinois, combler son endettement et rendre à son propre pays la base industrielle perdue. Rien que du bon sens, en somme !

Le problème, c’est qu’en s’attaquant ainsi aux « Travaux d’Hercule » qu’aucun de ses prédécesseurs n’a osé toucher depuis 1945, Trump gêne de nombreux intérêts. En effet, si les guerres sont très coûteuses pour son pays, elles sont très profitables pour les « marchands de canons » américains, pour les néo-conservateurs qui en sont les administrateurs, pour les puissantes banques qui les capitalisent ou les financent (BlackRock), pour les politiciens qui reçoivent en pluie les donations de ces entités à l’occasion de leurs élections, et pour tous les intermédiaires que les guerres engraissent, légalement ou illégalement (c’est la « lessiveuse » décrite par Robert Kennedy Jr). De même, concernant la Chine, de nombreux hommes d’affaires (Apple, Microsoft, Tesla et bien d’autres) vivent précisément de cette différence de coût pharamineuse entre nord et sud, et n’ont aucune envie de perdre, si peu que ce soit, leur avantage. 

L’opposition contre Trump est donc très puissante, à l’intérieur et à l’extérieur de son propre camp. Jusqu’à présent, il a tenté de contenter à la fois les uns et les autres, ceux qui vivent de la guerre et des disparités économiques, et ceux qui, demain, devraient vivre de la paix des armes et d’une relative harmonie commerciale. Ce sont souvent les mêmes…. À tous, il a expliqué que l’abondance, en fin de compte, rapporte plus que la pénurie. En théorie, il s’est certainement fait comprendre, mais dans la pratique, il doit leur faire lâcher leur os avant de leur en livrer, demain, un plus gros. Avec ces molosses toujours morts de faim, c’est une toute autre affaire… Et que dire, par ailleurs, de l’AIPAC et de son pouvoir, celui d’avoir « acheté » les 2/3 du Congrès ?

Cela se reflète, en ce moment, dans l’attitude de Trump. Alors qu’il a été presque impérial depuis sa prise de fonction, promettant « un nouvel Âge d’or pour l’Amérique », il semble qu’il hésite aujourd’hui. Entré courageusement, depuis la rive démocrate, dans le lit de la rivière, il est maintenant au milieu du gué, aux prises avec un fort courant. Gêné par son double discours, celui du « monde de demain » où il tente d’entraîner ses oligarques, et celui du « monde d’hier », dans lequel ils s’enrichissemnt encore, il n’ose pas leur dire « C’est fini, il faut passer à autre chose ». Ou bien il craint un vote négatif des parlementaires de son propre camp. Du coup, il tergiverse, il perd du temps, il parle trop, il ne décide pas, il se fâche avec ses soutiens, et s’affaiblit progressivement. L’épée d’Alexandre tremble dans sa main, au moment de trancher les nœuds gordiens pour remonter, libre et triomphant, sur l’autre rive, et y proclamer advenu l’Âge d’or américain. S’il ne le fait pas, s’il n’arrête pas, en particulier, le financement de ses guerres, il perdra sa popularité, puis à coup sûr les élections de mi-mandat de l’an prochain, car tous, amis et ennemis, se ligueront contre lui pour lui reprocher son indécision, l’incohérence et l’échec de sa politique. Dans une telle situation, mieux vaut en effet ne rien faire, plutôt que de tenter un tel changement et l’abandonner en cours de route. Et si le pouvoir revient aux Démocrates, et au rêve d’hégémonie (ce que les européens, paradoxalement, espèrent), le monde entier explosera, parce que le sud s’y opposera de toutes ses forces.

Jamais, peut-être, l’Histoire n’a été aussi prête à basculer d’un côté ou d’un autre, dépendant de la décision d’un seul homme. Le monde est vraiment, aujourd’hui, à la croisée des chemins.

François Martin