L’Inde, la Russie et la Chine profiteraient de paiements en yuans pour une partie du pétrole russe

Une telle démarche aiderait l’Inde à contrer la pression américaine, à éviter que la Russie ne devienne excessivement dépendante de la Chine et à renforcer encore les relations sino-indiennes.

Reuters a rapporté début octobre que certains négociants russes en pétrole avaient de nouveau commencé à demander des paiements en yuans aux raffineurs publics indiens, renouant ainsi avec une pratique brièvement appliquée à la mi-2023, après qu’un important cimentier indien eut acheté du charbon russe en yuans l’année précédente. L’Inde aurait refusé la demande russe de poursuivre cette pratique fin 2023 en raison de ses tensions avec la Chine, mais trois évolutions interdépendantes pourraient bientôt amener New Delhi à revoir sa position.

La plus déterminante est la détérioration des relations indo-américaines, causée par l’obsession de Trump de punir l’Inde pour son refus de boycotter les armes et l’énergie russes, conformément au projet américain visant à freiner l’ascension de l’Inde en tant que grande puissance et à la subordonner comme plus grand vassal de l’histoire des États-Unis. Cette situation a contribué à un réchauffement des relations sino-indiennes, mises à mal depuis les affrontements meurtriers de l’été 2020 dans la vallée de la rivière Galwan. Le Premier ministre Narendra Modi a d’ailleurs participé le mois dernier au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en Chine.

Parallèlement, la dégradation des relations russo-américaines pendant la même période a conduit Moscou à conclure avec Pékin l’accord longtemps négocié sur le gazoduc Force de Sibérie 2, à des conditions qui seraient largement favorables à la Chine. Beaucoup estiment que cela accroît la dépendance de la Russie à l’égard de Pékin. Cette hypothèse semble logique, car il paraît plus probable que la Russie ait accepté les prix plus bas proposés par la Chine après la rupture avec les États-Unis, plutôt que la Chine ait finalement accepté les prix plus élevés souhaités par la Russie.

Du point de vue de l’Inde, malgré le réchauffement des relations avec Pékin, une dépendance accrue de Moscou vis-à-vis de la Chine pourrait conduire cette dernière à user de son influence pour inciter la Russie à réduire ses exportations d’armes, de munitions et de pièces détachées vers l’Inde, ce qui donnerait à Pékin un avantage décisif dans leur différend frontalier himalayen. L’Inde doit donc équilibrer prudemment ses relations avec la Russie et la Chine — les trois formant le noyau RIC (Russie, Inde, Chine) au sein des BRICS et de l’OCS — afin d’éviter ce scénario, d’améliorer encore ses liens avec Pékin et de contrer la pression américaine.

À cette fin, reprendre partiellement les achats de pétrole russe en yuans permettrait de mieux résister aux pressions américaines sur ce dossier, de maintenir le niveau élevé des importations indiennes de pétrole russe — qui font de l’Inde une soupape importante face aux sanctions occidentales contre Moscou — et de renforcer ses liens avec la Chine. Ce faisant, la pression des États-Unis serait en partie atténuée, l’équilibre sino-indien de la Russie ne serait pas trop bouleversé par le projet Force de Sibérie 2, et la confiance de la Chine envers l’Inde pourrait également s’accroître.

Après avoir exposé les avantages potentiels pour les trois pays, il convient de préciser que la Russie a confirmé que la plupart des paiements indiens demeurent effectués en roubles, le yuan n’étant utilisé qu’à petite échelle. Les deux parties pourraient donc préférer cette solution mixte plutôt qu’une utilisation accrue du yuan. La méfiance persistante de l’Inde à l’égard des intentions chinoises, naturelle à ce stade du rapprochement, pourrait aussi freiner la mise en œuvre de cette idée. Une autre possibilité serait que l’Inde recoure davantage aux dirhams plutôt qu’aux yuans pour ses achats hors rouble et hors roupie.

Quoi qu’il en soit, il existe une possibilité crédible que l’Inde reprenne à terme le paiement d’une partie du pétrole russe en yuans, ce qui accélérerait la reformation du noyau RIC au sein des BRICS et de l’OCS et favoriserait leur agenda officieux de dédollarisation. La décision finale revient à New Delhi : c’est à elle de déterminer si et dans quelle mesure elle adoptera cette approche. Mais il serait souhaitable que ses responsables réfléchissent sérieusement à ses avantages, qui semblent dépasser les éventuelles inquiétudes restantes.

Vous pouvez retrouver les liens externes dans l’article original d’Andrew Korybko.