Le décor est planté pour un dilemme sécuritaire provoqué par les États-Unis entre le Rimland et le Heartland eurasiens

L’OTAN, le Pakistan et le « croissant asiatique de confinement » formé par le Japon, Taïwan et les Philippines, soutenus par Washington, sont désormais placés face à la Russie, l’Inde et la Chine pour les décennies à venir.

Les États-Unis envoient des signaux contradictoires au sujet de l’entente sino-russe, renforcée par l’accord sur le gazoduc Force de Sibérie 2. En septembre, Trump a déclaré qu’il n’était « pas inquiet » de cette alliance, tandis que le secrétaire à la Défense Pete Hegseth affirmait avoir reçu l’ordre de « rétablir la dissuasion » contre eux. Comme on l’a vu précédemment, « la stratégie d’équilibre eurasienne du Trump 2.0 a échoué » en grande partie à cause de cette évolution, à laquelle l’Inde a tacitement consenti dans le cadre de son rapprochement avec la Chine.

Loin de rester divisées — notamment sur la question de la rivalité sino-indienne, qui compliquait l’équilibre recherché par Moscou —, les trois principales puissances civilisationnelles d’Eurasie se rapprochent désormais pour relancer leur format commun Russie-Inde-Chine (RIC). Ce cadre est important en soi, mais il constitue aussi le noyau des BRICS et de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), deux organisations qui jouent un rôle complémentaire dans la transformation progressive de la gouvernance mondiale.

Ces dynamiques multipolaires accélérées par le RIC ne peuvent être contrées par la force militaire directe. Le Pentagone pourrait toutefois chercher à les ralentir en provoquant de nouvelles courses aux armements. Le renforcement militaire soutenu par les États-Unis de l’OTAN, du Pakistan (partiellement) et du « croissant asiatique de confinement » (Japon, Taïwan, Philippines) pourrait contribuer à cet objectif face à la Russie, à l’Inde et à la Chine, tout comme un redéploiement militaire américain plus marqué dans ces pays — voire un retour officiel au Pakistan.

De même, la mise en place du « Dôme doré » (bouclier antimissile), le déploiement de missiles à portée intermédiaire dans ces régions et la militarisation accrue de l’espace visent à accentuer la pression sur la Russie et la Chine. Mais ces mesures pourraient se retourner contre Washington en renforçant la coordination militaro-technique entre Moscou et Pékin. Il faut préciser que la Russie et la Chine ne sont pas des alliés au sens strict — elles n’iraient pas en guerre l’une pour l’autre —, mais leurs intérêts stratégiques et sécuritaires communs augmentent la probabilité d’une aide réciproque en cas de conflit.

Jusqu’à présent, la Chine a évité de fournir une assistance militaro-technique directe à la Russie, en raison de son interdépendance complexe avec l’Occident. Mais la guerre commerciale lancée par Trump, ses accusations de « complot » contre les États-Unis visant le président Xi Jinping, et les plans du Pentagone pour le « croissant asiatique de confinement » pourraient amener Pékin à reconsidérer sa position. De la même manière, la Russie pourrait se montrer plus disposée à partager des technologies militaires de pointe avec la Chine pour contrebalancer les initiatives américaines au Japon, voire à étendre cette coopération à leur allié commun, la Corée du Nord.

Bien que la majeure partie de l’équipement militaire pakistanais provienne aujourd’hui de la Chine, les États-Unis pourraient tenter de regagner une place sur ce marché si les exportations chinoises diminuaient à la suite du rapprochement sino-indien. Cela pourrait parallèlement entraîner une baisse des exportations américaines vers l’Inde et leur compensation par de nouvelles ventes au Pakistan. La Russie, de son côté, pourrait retrouver son rôle traditionnel de principal fournisseur de l’Inde si ses ventes à ce pays augmentaient en réaction à l’intensification des livraisons américaines au Pakistan — un retour de facto aux dynamiques militaires de la guerre froide régionale.

L’ensemble de ces dynamiques stratégiques prépare donc un dilemme sécuritaire entre le Rimland eurasiatique (l’OTAN, le Pakistan et le « croissant asiatique de confinement ») et le Heartland eurasien (le RIC), instigué par les États-Unis afin de « rétablir la dissuasion » face à l’entente sino-russe. L’objectif est de pousser l’un des trois — ou leur partenaire commun, l’Inde — à céder face à la pression américaine, permettant ainsi à Washington de mieux diviser et dominer le supercontinent. Ce projet hégémonique pourrait bien définir la géopolitique eurasienne du XXIe siècle.

Vous pouvez retrouver les liens externes dans l’article original d’Andrew Korybko.