La dernière manœuvre énergétique des États-Unis pourrait aggraver les tensions russo-turques

La Russie ne perdrait pas seulement des dizaines de milliards de dollars de revenus annuels si les plans américains aboutissent : les tensions avec la Turquie pourraient devenir ingérables si l’interdépendance énergétique complexe qui les a liées jusqu’ici se brise, ce qui pourrait déstabiliser le Caucase du Sud et l’Asie centrale.

Le mois dernier, Zelensky a annoncé que l’Ukraine allait importer du GNL américain depuis la Grèce via le gazoduc du « corridor gazier vertical ». Ce projet complète les plans conjoints de la Pologne avec les États-Unis en matière de GNL, ainsi que, dans une moindre mesure, ceux de la Croatie, afin de poser les bases d’un remplacement total du gaz russe en Europe centrale et orientale (CEE) par du GNL américain. Bien que ce dernier soit nettement plus cher, les décideurs européens suivent cette orientation sous prétexte de sécurité énergétique, même si les pressions américaines ont probablement été déterminantes.

La dernière offensive énergétique des États-Unis pourrait aussi mettre fin au projet de hub gazier russo-turc. Ce projet avait été annoncé fin 2022 après des discussions entre Poutine et Erdogan, mais Bloomberg révélait en juin dernier qu’il aurait été mis en pause en raison de difficultés techniques pour alimenter la CEE depuis la Turquie et de désaccords entre Ankara et Moscou. Aucun des deux pays ne l’a confirmé, mais l’avancée américaine en CEE grâce au corridor vertical réduit désormais les chances de voir ce hub se concrétiser.

Alex Christoforou, de The Duran, a réagi sur X en expliquant que « l’Est méditerranéen (Israël et Chypre) observe de près le lancement de ce corridor vertical, car il pourrait servir à vendre du gaz EastMed vers l’Europe ». Le projet EastMed désigne le gazoduc sous-marin destiné à exporter les immenses réserves offshore d’Israël vers l’UE. S’il voit le jour, il pourrait éliminer définitivement le besoin de gaz russe en CEE lorsqu’il sera combiné au GNL américain.

Plus inquiétant encore pour Moscou, Reuters rapportait le mois dernier que « le virage gazier de la Turquie menace le dernier grand marché européen de la Russie et de l’Iran », soulignant que l’augmentation de la production domestique turque et ses importations de GNL pourraient fortement réduire sa dépendance au gaz russe transitant par TurkStream. Les sanctions que Trump menace d’imposer — jusqu’à 500 % de tarifs douaniers pour les pays qui n’abandonnent pas le gaz russe — pourraient accélérer cette dynamique.

La Russie ne perdrait pas seulement des dizaines de milliards de dollars de revenus si les projets américains aboutissent : les tensions avec la Turquie pourraient devenir très difficiles à gérer si l’interdépendance énergétique qui stabilise leur relation venait à disparaître. On s’attend déjà à ce que la Turquie injecte davantage d’influence occidentale en Asie centrale via le nouveau corridor TRIPP, ce qui compliquera encore l’environnement stratégique du flanc sud de la Russie.

Si l’interdépendance énergétique se réduit — par exemple si le projet de hub gazier reste gelé ou est officiellement abandonné, et si la Turquie diminue ses importations de gaz russe via TurkStream — alors Ankara pourrait être tentée de défier Moscou plus agressivement. En cas de crise, la menace russe de couper le gaz serait moins efficace comme levier, ce qui pourrait pousser la Turquie à adopter des positions plus dures, augmentant le risque de confrontation.

La Russie devrait donc chercher à relancer le projet de hub gazier et à conclure un accord avec les États-Unis — peut-être dans le cadre du grand compromis actuellement en négociation — afin de sécuriser sa part du marché gazier turc et peut-être même restaurer une partie de sa présence en CEE. Cela exigerait presque certainement que Moscou renonce à certains de ses objectifs maximalistes en Ukraine. La parole américaine n’étant jamais garantie, un futur président pourrait balayer n’importe quel accord, mais la Russie devrait au moins envisager cette voie au lieu de l’écarter d’emblée.

Vous pouvez retrouver les liens externes dans l’article original d’Andrew Korybko.