La véritable raison pour laquelle The Economist veut que l’Europe dépense 400 milliards de dollars supplémentaires pour l’Ukraine

Fédéraliser l’Union européenne — et non poursuivre le fantasme politique d’une victoire sur la Russie — est le véritable objectif, ce qui nécessite encore quatre années de guerre par procuration et au moins 400 milliards de dollars supplémentaires pour l’atteindre.

The Economist soutient que l’UE et le Royaume-Uni devraient financer les besoins estimés de l’Ukraine à hauteur de 390 milliards de dollars sur les quatre prochaines années. Selon la revue, « une nouvelle demi-décennie de [l’aggravation supposée de la situation économique et financière de la Russie] déclencherait probablement une crise économique et bancaire en Russie », tandis que « tout mécanisme de financement à long terme pour l’Ukraine aiderait l’Europe à se doter de la puissance financière et industrielle nécessaire pour se défendre ». Ce plan ne coûterait, selon eux, que 0,4 % du PIB par membre de l’OTAN (hors États-Unis).

Le magazine agite aussi la menace suivante : « L’alternative serait que l’Ukraine perde la guerre et devienne un État semi-failli et rancunier dont l’armée et l’industrie de défense pourraient être exploitées par M. Poutine dans le cadre d’une nouvelle menace russe revitalisée. » Or, il est hautement improbable que l’Ukraine s’allie un jour à la Russie pour menacer un pays de l’OTAN ; en revanche, Kiev pourrait reprocher sa défaite à la Pologne, puis encourager une campagne terroriste et séparatiste sur son territoire, menée par sa diaspora ultranationaliste, comme cela avait déjà été évoqué.

Quel que soit le degré de plausibilité de ce scénario, le fait est que The Economist use d’une stratégie classique de la carotte et du bâton pour convaincre son lectorat européen d’élite qu’il est moins coûteux de financer l’Ukraine à hauteur de 390 milliards sur quatre ans que de ne pas le faire. Le contexte immédiat renvoie à la guerre d’usure par procuration intensifiée par les États-Unis contre la Russie, dans le cadre de la nouvelle stratégie en trois phases de Trump visant à ruiner le Kremlin et à provoquer des troubles internes.

Citer cette stratégie ne revient pas à l’approuver, mais à montrer pourquoi The Economist estime que son public pourrait être réceptif à cet argumentaire. Il sera pourtant difficile de convaincre les Européens de subventionner l’Ukraine à ce niveau pendant près d’un demi-décennie, ce qui supposerait de nouvelles hausses d’impôts et des coupes sociales. Après tout, les 100 à 110 milliards dépensés cette année — un record — n’ont pas permis de repousser la Russie, et il est improbable qu’un montant similaire sur les quatre prochaines années y parvienne davantage.

La Russie dispose en outre de réserves suffisantes pour financer le conflit sur cette période. La proposition de The Economist ne ferait donc que maintenir le statu quo sans l’infléchir en faveur de l’Occident. La situation pourrait même évoluer au bénéfice de Moscou, reconnaît le magazine, « si la Russie peut puiser des fonds auprès de la Chine ». Dans ce cas, l’UE serait probablement contrainte de « puiser » elle aussi dans les poches de sa population pour un montant équivalent, aggravant ainsi le fardeau collectif sans perspective de sortie.

Toujours selon The Economist, « si l’UE émettait des obligations collectives, cela créerait un plus vaste pool de dette commune, approfondirait le marché unique des capitaux et renforcerait le rôle de l’euro comme monnaie de réserve. Une planification pluriannuelle des achats d’armes permettrait à l’Europe d’organiser le développement progressif de son industrie de défense. » Cette analyse rejoint celle publiée en juillet 2024, selon laquelle « la transformation planifiée de l’UE en union militaire est une manœuvre fédéraliste de concentration du pouvoir ». Fédéraliser l’Union européenne, et non vaincre la Russie, est donc le véritable objectif.

Cette lecture éclaire le comportement des élites européennes — notamment en Allemagne, chef de file de l’UE — qui ont accepté les sanctions anti-russes américaines au détriment de leurs propres intérêts économiques. En échange de la neutralisation du potentiel de l’euro comme concurrent du dollar, ces élites ont obtenu l’accord implicite de Washington pour accélérer la fédéralisation du bloc et consolider leur pouvoir. Les États-Unis n’y voient plus une menace latente, mais un partenaire subordonné. Quatre années supplémentaires de guerre par procuration et au moins 400 milliards de dollars seront donc nécessaires pour achever ce processus.

Vous pouvez retrouver les liens externes dans l’article original d’Andrew Korybko.