La stratégie d’équilibre eurasienne du Trump 2.0 est un échec

Son comportement arrogant et agressif envers la Russie, l’Inde et la Chine en est la principale cause.

La transition systémique mondiale vers la multipolarité suit aujourd’hui une trajectoire différente de celle observée auparavant, en raison des récents changements de l’ordre international. Jusqu’ici, Trump 2.0 cherchait à établir des partenariats économiques et militaires respectivement avec la Russie et l’Inde afin de ralentir l’ascension de la Chine au rang de superpuissance, ce qui aurait fait d’elle le partenaire subordonné dans un éventuel accord G2 ou Chimerica. Cette stratégie d’équilibre eurasienne a toutefois échoué en raison de son attitude arrogante et agressive envers ces trois pays.

Les relations avec la Russie se sont détériorées après le sommet d’Anchorage, à la suite de rapports de plus en plus préoccupants sur les projets américains de soutien aux troupes de l’OTAN en Ukraine, ce qui a poussé Poutine à abandonner son propre équilibrisme eurasien pour se tourner vers la Chine. Cela s’est concrétisé par l’accord juridiquement contraignant tout juste conclu pour la construction du gazoduc Force de Sibérie 2. Le partenariat envisagé par Washington avec Moscou, centré sur les ressources et destiné à obtenir des concessions sur l’Ukraine, paraît désormais beaucoup moins probable.

Concernant l’Inde, les liens se sont également tendus après les affrontements du printemps avec le Pakistan, période durant laquelle Trump a pris parti pour Islamabad, allant jusqu’à mentir en affirmant que l’Inde avait accepté un cessez-le-feu prétendument négocié par les États-Unis. Washington a ensuite imposé des droits de douane punitifs à l’Inde en raison de son commerce continu avec la Russie, tout en épargnant la Chine et d’autres pays. Parallèlement, Trump a publiquement insulté l’Inde à plusieurs reprises. Concluant qu’il cherchait délibérément à entraver son ascension au rang de grande puissance, New Delhi a rapidement rétabli ses relations avec Pékin et pris ses distances avec Washington.

Avec la Russie se rapprochant de la Chine via Force de Sibérie 2 et dans le contexte du rapprochement sino-indien, les leviers économiques et militaires permettant de freiner la montée en puissance de Pékin à travers des partenariats alternatifs ont été neutralisés. Tout accord de type G2 ou Chimerica pencherait désormais nettement en faveur de la Chine. Le président Xi Jinping a d’ailleurs adopté un discours plus affirmé sur la refonte de l’ordre mondial lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et des commémorations du V-J Day, ce qui a conduit Trump à l’accuser de « comploter » contre les États-Unis.

L’accord commercial intérimaire entre la Chine et les États-Unis est aujourd’hui menacé, après que Trump a menacé d’imposer des droits de douane de 100 % sur les produits chinois d’ici au 1er novembre, voire plus tôt, selon la date à laquelle Pékin appliquera ses contrôles à l’exportation sur les terres rares. Combinée à son accusation spectaculaire selon laquelle Xi conspirerait contre les États-Unis en collusion avec Poutine et Kim Jong Un, cette posture pourrait annoncer de futures tensions militaro-stratégiques, même indirectes, par procuration. Cela déstabiliserait davantage l’Eurasie, conformément à la stratégie traditionnelle américaine du « diviser pour régner ».

Concrètement, cela pourrait se traduire, dans un ordre géographique tournant, par :
– l’attisement de troubles de type « révolution de couleur » en Mongolie afin de saboter Force de Sibérie 2 ;
– des provocations navales de la part du Japon, de Taïwan ou des Philippines contre la Chine dans des zones maritimes disputées ;
– une obstruction à l’accès chinois aux terres rares dans l’État kachin du Myanmar ;
– ou encore une déstabilisation de l’Asie centrale via la Turquie, membre de l’OTAN, à travers le nouveau corridor TRIPP.

Face à ces scénarios, la Chine pourrait réagir en armant la Russie, voire en envoyant des troupes pour l’aider en Ukraine.

Xi a observé la manière dont Trump a maltraité son ami Modi — pourtant dirigeant d’un État susceptible de rejoindre l’axe antichinois américain — tout en voyant comment il trahit Poutine en Ukraine après Anchorage. Il s’attend donc à un traitement similaire s’il devait accepter un accord de type G2 ou Chimerica. Il sait également que la Chine est désormais dans la ligne de mire après les nouvelles menaces tarifaires et les accusations de « complot ». Il n’est donc guère surprenant que la stratégie d’équilibre eurasienne du Trump 2.0, marquée par l’arrogance et l’agressivité, ait échoué.