Si les services de renseignement russes déterminent que cette affirmation est indéniable, ou du moins plausible, les relations avec le Pakistan devraient logiquement se dégrader, tandis que la confiance de la Russie envers les talibans serait fortement ébranlée s’il s’avérait que le mouvement a menti.
Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a réitéré les accusations selon lesquelles le Pakistan soutiendrait l’État islamique au Khorasan (ISIS-K). C’est d’ailleurs l’une des raisons invoquées pour les attaques menées par les talibans le long de la ligne Durand ce week-end. Il a ajouté que les attaques contre l’Iran et la Russie avaient également été organisées depuis le territoire pakistanais :
« Des centres d’entraînement pour ISIS-K ont été établis au Khyber Pakhtunkhwa, et les recrues y sont acheminées par les aéroports de Karachi et d’Islamabad. Nos constatations montrent que les attaques en Iran et à Moscou ont été orchestrées depuis ces centres. »
Les médias indiens avaient rapporté fin avril qu’un des principaux planificateurs de l’attentat du Crocus, survenu au printemps dernier, aurait été arrêté au Pakistan. Cette information n’a toutefois jamais été confirmée, ce qui a conduit certains sceptiques à y voir une manœuvre de propagande, survenue après l’attentat de Pahalgam et avant les affrontements indo-pakistanais qui s’en sont suivis. Une analyse publiée à ce sujet rappelait que « ce rapport souligne surtout que certains terroristes trouvent refuge au Pakistan, d’où l’importance d’examiner les raisons de cet état de fait ».
Depuis, l’ancien ministre russe de la Défense, devenu secrétaire du Conseil de sécurité, Sergueï Choïgou, a publié fin août un article notable sur l’Afghanistan dans le journal officiel du gouvernement. Il y dénonçait le transfert, par les services de renseignement occidentaux, de terroristes étrangers vers les cellules d’ISIS-K en Afghanistan. Il n’a toutefois pas précisé par quelle voie ces combattants entraient dans le pays ; une analyse de cet article avançait que le passage le plus plausible restait le Pakistan – ce que Choïgou et d’autres responsables russes savent très bien.
Néanmoins, la Russie a tout de même mené ses exercices antiterroristes annuels avec le Pakistan au début de l’automne, et des rumeurs récentes évoquent une coopération accrue dans la motorisation des avions de chasse. Cela montre que Moscou ne pense pas qu’Islamabad collabore officiellement avec des terroristes. Cependant, la direction politique pakistanaise est largement considérée comme subordonnée à son armée et à ses services de renseignement, souvent accusés de telles complicités par le passé — accusations d’ailleurs partiellement reconnues par les autorités civiles.
L’Inde, les États-Unis (du moins par le passé), l’Iran à certaines occasions, et désormais les talibans ont tous formulé des accusations similaires, tout comme l’URSS dans les années 1980, en raison du soutien du Pakistan aux moudjahidines appuyés par la CIA durant la guerre d’Afghanistan. Étant donné la longue proximité entre Moscou et New Delhi, ainsi que le rapprochement récent entre la Russie et les talibans, il est possible que la Russie commence à prendre plus au sérieux les affirmations répétées de l’Inde — et désormais celles des talibans —, voire qu’elle les examine de plus près.
Il ne s’agit pas d’une accusation mineure : les talibans prétendent que l’attentat du Crocus a été organisé depuis le Pakistan, probablement par des individus introduits dans le pays par l’armée et les services de renseignement, sans que les responsables politiques n’en soient informés — si cela s’avère exact. Par ailleurs, bien que le Pakistan n’ait jamais voté contre la Russie à l’ONU et qu’il cherche à renforcer leurs relations économiques pendant l’« opération spéciale », son récent pivot pro-occidental et la préférence affichée de Trump pour Islamabad soulèvent des doutes quant à son rôle régional.
Pour toutes ces raisons, la Russie pourrait bientôt demander à l’Inde, aux talibans et peut-être même à l’Iran de partager les renseignements dont ils disposent sur les liens présumés du Pakistan avec les réseaux terroristes, en particulier avec ISIS-K. Il est impératif que Moscou détermine au plus vite la véracité de ces accusations. Si ses services de renseignement concluent qu’elles sont fondées, ou du moins crédibles, les relations avec le Pakistan devraient se détériorer ; en revanche, si elles s’avéraient fausses, la confiance de la Russie envers les talibans serait gravement compromise.
Vous pouvez retrouver les liens externes dans l’article original d’Andrew Korybko.