La Chine veut conserver son accès aux terres rares de l’État Kachin, les États-Unis veulent les lui ravir, et leur compétition croissante pour cette partie du Myanmar pourrait en faire le prochain foyer de la nouvelle guerre froide.
Reuters a rapporté que la politique américaine au Myanmar pourrait évoluer vers un engagement diplomatique accru, soit avec la junte au pouvoir, soit avec l’Armée de l’indépendance kachin (KIA), dans le but d’obtenir l’accès aux vastes réserves de terres rares de cet État éponyme. Actuellement, on soupçonne Washington de soutenir clandestinement certains groupes armés anti-junte, mais la KIA n’en aurait pas profité en raison de son isolement le long de la frontière montagneuse du Myanmar avec la Chine et l’Inde.
Cette géographie rend difficile la redirection de ces ressources vers l’Inde, par exemple, quel que soit le statut politique final du Kachin (autonome dans une fédération ou confédération du Myanmar, ou indépendant), et ce à supposer que la Chine n’intervienne pas. Reuters cite un expert de l’État Kachin qui a déclaré : « S’ils veulent transporter les terres rares de ces mines, toutes situées à la frontière chinoise, vers l’Inde, il n’y a qu’une seule route. Et les Chinois interviendraient certainement pour l’arrêter. »
Les informations de la fin de l’année dernière sur la société de sécurité conjointe que la Chine et le Myanmar projetaient alors ont été analysées ici, et la conclusion était que les risques liés à une intervention menée même par une SMP (société militaire privée) pour protéger le Corridor économique Chine-Myanmar (CMEC) rendaient ce scénario improbable. Aussi important que soit le CMEC pour aider la Chine à réduire sa dépendance logistique vis-à-vis du détroit de Malacca, facilement bloquable, les terres rares du Kachin sont encore plus cruciales, ce qui pourrait modifier ses calculs.
Néanmoins, la Chine est connue pour défendre ses intérêts nationaux par des moyens hybrides, économiques et diplomatiques, plutôt que par la force militaire. Il est donc beaucoup plus probable qu’elle intensifie bientôt ses efforts en ce sens, soit avec la junte, soit avec la KIA, soit avec les deux, afin de contrer toute future campagne diplomatique américaine. Le premier scénario viserait à restaurer le contrôle de l’armée sur les terres rares du Kachin ; le second chercherait à aller vers l’indépendance de facto du Kachin ; le troisième viserait à obtenir son autonomie dans le cadre d’un règlement politique médiatisé par Pékin.
Dans l’ordre où ils ont été cités : l’armée recule au Kachin malgré plus de quatre ans de soutien chinois, il est donc peu probable qu’une nouvelle approche de Pékin inverse cette tendance ; les décennies d’engagement de la Chine avec l’Armée unie de l’État Wa, indépendante de facto dans l’État Shan oriental (y compris autour des terres rares), pourraient servir de précédent à quelque chose de similaire avec la KIA ; tandis que chercher l’autonomie du Kachin dans un règlement politique facilité par la Chine constituerait le scénario idéal pour Pékin.
Quoi qu’il en soit, il est inimaginable que la Chine laisse les États-Unis ravir les réserves de terres rares du Kachin sans tenter de contrer ce coup de force, et la rivalité sino-américaine au Myanmar devrait donc s’intensifier. Le Kachin est au cœur de cette lutte, aujourd’hui motivée par l’accès à ses terres rares alors qu’elle portait auparavant sur le CMEC, l’avenir politique du Myanmar (centralisé, décentralisé, fédéralisé ou partitionné) n’étant qu’un moyen pour atteindre cet objectif.
La Chine dispose d’un avantage sur les États-Unis en raison de la géographie (proximité de ses installations de traitement des terres rares), de ses liens existants avec la junte comme avec la KIA, et de l’attrait que toute nouvelle approche (éventuellement liée au CMEC) pourrait avoir pour faciliter un accord pragmatique entre eux. Cela dit, les États-Unis pourraient, à tout le moins, tenter de provoquer une intervention militaire chinoise pour l’enliser dans un bourbier, même si les chances de ce scénario sont faibles, le tout dans le cadre de leur rivalité croissante au Myanmar dans la nouvelle guerre froide.
Vous pouvez retrouver les liens externes dans l’article original d’Andrew Korybko.